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Sportifs professionnels victimes de racisme : quel impact sur leur mental ?

Sportifs professionnels victimes de racisme : quel impact sur leur mental ?
Vinicius Junior a fondu en larmes lors d'une conférence de presse en mars dernier. Photo archives AFP/Jean-Philippe MARCOU

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Le récent témoignage de Vinicius Jr, joueur du Real Madrid, met en lumière un point important, généralement négligé : les actes racistes sont souvent perçus comme des moments ponctuels, or leurs effets sont durables et peuvent avoir un impact sur la santé de celles et ceux qui les subissent.

Matys Verlant, Doctorant en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives à l'Université de Bordeaux et en Sciences des Religions à l'Université Laval, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Les conférences de presse des footballeurs sont réputées pour leur formalisme et leur langue de bois. Mais parfois, il arrive que les sujets les plus importants y trouvent une place, comme le 25 mars 2024, à la veille d’un match entre le Brésil et l’Espagne. Au moment d’évoquer le racisme qui se manifeste parfois dans les tribunes du championnat espagnol, Vinicius Jr, joueur brésilien du Real Madrid, n’a pas pu retenir ses larmes. Évoquant les insultes liées à sa couleur de peau, le joueur explique :

À chaque fois que cela arrive, je me sens plus triste, et à chaque fois, j’ai moins envie de jouer.

Juridiquement, la discrimination est définie à l’article 225-1 du code pénal comme une distinction opérée entre des personnes sur la base de l’un des 26 critères établis par la loi. Parmi ceux-là se trouvent l’origine et l’appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou à une prétendue race – ce qui recouvre les insultes ciblant la couleur de peau. Les recherches portent généralement sur l’identification des discriminations (enquêtes de victimisation, études sur les trajectoires des personnes issues de l’immigration, testings). Elles étudient le moment ponctuel qui renvoie au fait juridique et permettent de le qualifier. Leurs résultats apportent par exemple la preuve de traitements défavorables récurrents en raison du phénotype ou du patronyme. C’est indispensable.

"À chaque fois, j'ai moins envie de jouer" : interrogé sur le racisme, Vinicius fond en larmes

Mais au-delà de l’identification juridique des discriminations, le travail doit se prolonger du côté d’une reconnaissance des effets du racisme vécu. Démontrer la durabilité des actes racistes peut se faire par l’analyse des conséquences de ces discriminations sur la santé des personnes qui les subissent, au-delà du moment où ils ont eu lieu.

Inclure la totalité de l’expérience vécue

Lorsque Vinicius Jr fond en larmes au moment d’évoquer ses expériences, il ne vient pas de subir des insultes à caractère raciste ; par ses propos, il nous apprend que le traumatisme dure, qu’il s’accompagne d’une tristesse renouvelée et d’une perte de motivation professionnelle.

L’une des dimensions du vécu discriminatoire repose sur l’analyse de la vigilance comme anticipation de la discrimination. Dans l’analyse des temps de la discrimination, le sociologue François Dubet démontre que la discrimination peut constituer une charge en dehors des seules expériences vécues. Par la notion de « discriminable », on comprend que l’incertitude de « ne jamais savoir quand, où, comment et par qui on pourrait être discriminé » se traduit par une véritable charge mentale. Ainsi, le sentiment d’appartenance à un groupe discriminé induit par lui-même un certain vécu dégradé en lien avec les discriminations.

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Il faut prendre au sérieux le poids de l’anticipation. La menace de l’exposition peut provoquer une vigilance accrue. Or, des études nord-américaines ont démontré que cette vigilance peut non seulement prolonger et exacerber le stress face à certains événements, mais également ses conséquences sur la santé. Des liens statistiques ont été positivement établis avec les symptômes dépressifs, les problèmes de sommeil ou encore l’hypertension. De tels résultats se retrouvent également en Europe, plus particulièrement en Suède, où une étude a démontré que l’anticipation de discriminations ethniques est associée à un plus faible niveau de santé psychologique.

Le sportif : un travailleur très exposé

Dans le cas des sportifs, l’un des enjeux renvoie aux impératifs de performance qui pèsent sur eux. Les entretiens que j’ai menés ont montré que le risque d’être exposé à des insultes à caractère racial pouvait perturber la gestion du stress et impacter négativement la performance. Dans le cas d’un joueur comme Vinicius Jr, l’insulte raciste ne prend pas naissance sur un terrain vierge : elle vient réactiver des expériences antérieures, perturbe le présent et conditionnera en partie son appréhension du futur. Plus généralement, la question de la performance au travail se pose pour l’ensemble des travailleurs susceptibles de se retrouver en situation de vigilance, en raison d’expériences antérieures subies ou rapportées.

L’expérience au travail des sportifs professionnels ne se limite pas aux heures passées sur le terrain. Le quotidien est celui de l’entraînement, d’une vie collective semblable par certains aspects à la vie en entreprise ou en administration, avec son lot de situations porteuses de discrimination. Dans un milieu propice aux railleries « amicales », la récurrence des blagues relatives à l’origine ou à la couleur de peau sont normalisées et suscitent un travail de prise de conscience. Celle-ci peut se traduire par un renforcement de la charge mentale liée à ces expériences :

« Il y a des blagues qui pour eux sont anodines mais qui ne sont pas forcément super drôles. Quand je suis arrivé en équipe de France, à 20 ans, il y avait des Parisiens, et eux ils ont beaucoup plus de diversité. Un des mecs avec qui je jouais en club faisait plein de blagues qu’on pourrait dire… racistes. Et les Parisiens me disaient : tu laisses passer, ça ? Et moi je pensais que je ne devais pas répondre, sinon j’allais me battre tous les jours. […] C’est des blagues pas forcément méchantes, mais ce sont des blagues racistes, qui me sont adressées. Après j’ai décidé de ne plus laisser passer, mais ça a joué sur mon énergie, même quand ils ne faisaient pas de blague. »

Nos résultats tendent également à démontrer que le racisme n’impacte pas seulement les personnes contre qui il est directement dirigé. Lorsque les victimes sont des proches, ses effets peuvent même être démultipliés :

Quand c’est les autres, c’est pire. Moi je me dis : encore moi ça va, je m’en sors. […] Mais quand ce sont mes proches qui me le racontent, ça peut mener à un vrai mal-être. C’est pire. Quand ça arrive aux autres, ça me prend plus aux tripes.

Ces résultats accréditent la thèse d’un « vécu par procuration » qui diffuse sans alléger la charge mentale liée à ces expériences négatives. Cette diffusion s’effectue parfois dans une temporalité longue, qui relève notamment des mécanismes empathiques.

Ainsi, les discriminations vécues par les parents influencent par exemple la santé des enfants. Mais il n’est pas nécessaire de connaître directement la personne discriminée pour subir les effets d’un vécu par procuration. Des travaux ont montré que les étudiants noirs aux États-Unis ont connu des niveaux de détresse psychologique significatifs pendant la vague de violences policières ciblant les Noirs-Américains en 2020.

La discrimination et ses temporalités

Finalement, bien que le racisme puisse effectivement se lire dans des moments spécifiques et identifiables, la compréhension du vécu des personnes discriminées doit intégrer des paramètres qui dépassent l’événement seul et parfois même la victime seule.

En psychologie, des recherches initiales démontrent les effets concrets de la « charge raciale ». Ce concept, développé dans le monde francophone par des chercheurs comme Rachid Bagaoui et Maboula Soumahoro, met en lumière l’espace mental et l’énergie que le racisme soustrait aux personnes racisées. Être sur le qui-vive, vivre dans un état d’anticipation permanent et, comme l’explique Maboula Soumahoro :

La tâche épuisante d’expliquer, de traduire, de rendre intelligibles les situations violentes, discriminantes ou racistes.

Pour la sociologie des discriminations en France, l’enjeu se situe dans la définition théorique des dimensions à prendre en compte dans l’étude d’un climat perçu comme hostile par les personnes victimes de discriminations, ainsi que d’analyser son impact en tant que facteur de risque pour la santé. C’est l’objet de ma thèse en cours et du programme « Discri on Health » dirigé par la sociologue Yamina Meziani. Ces nouvelles données issues d’entretiens semi-directifs pourraient permettre de mieux repenser les dispositifs à destination des personnes victimes de discrimination, dans leur protection juridique et dans leur trajectoire de soin. The Conversation


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1 commentaire

Phil phil a posté le 07 mai 2024 à 20h05

C'est à cause du racisme que certains n'arrivent pas à progresser dans le sport français... Marie José perec pourrait témoigner pour dire le contraire... La victimisation permanente n'est pas tjs crédible

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